"Le jeu de l'amour et du hasard" (3)
3ème partie LA FILLE SÉRIEUSE
Henning - c'était son prénom - m'a dit que son père était armateur et qu'il se destinait à lui succéder. Il avait vraiment tout pour lui, ce charmant jeune homme ! Et il parlait un français si impeccable que je me suis demandé pourquoi il avait dit au pasteur qu'il souhaitait l'améliorer. Peut-être voulait-il simplement draguer une petite Française ? il faut dire que les Françaises en 1958 avaient, auprès des Danois, la réputation d'être des femmes légères: "Gay Paris" (pas "gay" dans le sens actuel, mais dans celui de la ville où on s'amuse), les petites femmes de Pigalle, les Folies bergère, l'amant caché dans le placard des vaudevilles, etc.
Les collègues de mon futur mari ont d'ailleurs essayé de le mettre en garde quand il leur a dit qu'il voulait se marier avec une Française. Même ma belle-mère avait une piètre opition des Français. Elle m'a dit un jour: "Tous les Français trompent leur femme". J'ai immédiatement protesté que mon père n'avait jamais trompé ma mère, sur quoi elle a répliqué : "Il doit être le seul".
A l'époque le Danemark était un pays très puritain. Tout a changé avec mai 68. Ils sont passés presque sans transition à une liberté sexuelle totalement débridée. Les sex-shops ont poussé comme des champignons dans la rue la plus commerçante de Copenhague - d'où elles ont maintenant complètement disparu. Les filles perdaient leur virginité vers l'âge de 13 ou 14 ans. Et puis le Sida est arrivé et les moeurs ont à nouveau changé. Mais je vous parlerai de cela un autre jour. Revenons à notre sujet.
Tout avait bien commencé, mais ça s'est gâché quand Henning a proposé que nous commencions nos échanges linguistiques le dimanche suivant, en me donnant sa carte de visite et en ajoutant: "Tu peux venir dans ma chambre".
Je ne savais pas qu'au Danemark les écoles étaient mixtes et que les jeunes avaient l'habitude d'avoir des relations de pure camaraderie avec ceux et celles du sexe opposé. Mais en France, en 1958, si une fille allait dans la chambre d'un garçon et se faisait violer, on disait: "Elle l'a bien cherché". Mon sang s'est donc glacé dans mes veines et Henning s'est aperçu de mon embarras. Il m'a regardé avec un sourire mi-rassurant mi-ironique. Il n'était pas question que j'aille dans sa chambre, mais je ne voulais pas avoir l'air gourde, alors j'ai fait comme si j'acceptais. Dès que j'ai été de retour à la maison, je lui ai écrit une lettre en annulant notre rendez-vous sous je ne sais plus quel prétexte. Je suis sûre qu'il n'a pas été dupe.
Le lendemain je retournais voir le pasteur danois pour lui dire que je préférais qu'il essaie de trouver une étudiante plutôt qu'un étudiant. Il m'a semblé approuver cette décision.
Quelques jours plus tard, une Danoise, portant le prénom d'Inger (qui se prononce "inneguoeur") m'a téléphoné et m'a donné rendez-vous devant fontaine Saint-Michel. Je me suis rendue à ce rendez-vous avec un certain retard. Elle n'était pas là et j'ai eu peur qu'elle soit venue, puis repartie. Je l'ai quand même attendue en faisant les cent pas. Un monsieur d'un certain âge a commencé à me déshabiller du regard et j'ai compris qu'il se méprenait sur moi. Je me suis vite dirigée vers la station de métro, avant qu'il ne me demande: "C'est combien ?"
A suivre ...