LE CHASSEUR QUI N'AIMAIT PAS SON CHIEN
Après une courte promenade sur un sentier du Col du cou, dimanche dernier, nous nous étions assis sur un banc pour admirer le paysage et les planeurs, qui atterrissaient pas loin de là. Je dis “courte promenade” car nous avions vite fait demi-tour, en voyant arriver des chasseurs. Nous avions oublié que le dimanche est jour de chasse et nous n’avions pas envie d’être atteints par une balle perdue. Cela m’agace toujours énormément, à l’automne, de ne pas pouvoir me balader où j’en ai envie, à cause de ces maudits chasseurs. Et ils disent pratiquer ce “sport” parce qu’ils aiment le contact avec la nature ! Dans ce cas, ils n’ont qu’à faire de la randonnée et laisser ces pauvres animaux en paix. Un break Mercédès, immatriculé à Genève, était garé derrière nous. Peu après, ses propriétaires - des Suisses Allemands - sont arrivés avec trois chiens, deux golden retrievers et un petit chien de chasse. J’ai entendu la dame qui appelait quelqu’un au téléphone, en indiquant l’endroit où elle se trouvait. Elle a terminé en disant : « Dans 10 minutes ? Merci. » Un quart d’heure plus tard, mon mari m’a fait remarquer qu’une dépanneuse attendait sur un autre parking plus bas. C’était peut-être elle que les Suisses attendaient. Comme la dame n’avait pas bien pu expliquer où elle se trouvait, je suis allée lui demander si elle attendait une dépanneuse. Elle m’a répondu que non. Elle avait appelé le propriétaire du petit chien qui était perdu et qu’ils avaient ramené avec eux. Celui-ci avait en effet, sur son collier, une plaque avec un numéro de téléphone. Le monsieur lui avait promis d’être là dans 10 minutes, mais il n’était toujours pas là. Le coffre de la voiture était ouvert et les trois chiens étaient à l’intérieur. Le petit chien perdu était allongé, sa tête sur la cuisse d’un des golden retrievers qui lui servait d’oreiller. La dame, qui était assise sur le rebord de la voiture, le caressait doucement et il paraissait très content d’être là. J’ai proposé de téléphoner au monsieur pour mieux lui expliquer où nous nous trouvions. J’ai été étonnée de sa réaction. Il m’a demandé s’il s’agissait d’un chien noir. Je lui ai dit qu’il était marron gris. Il m’a expliqué : « C’est parce que j’en ai plusieurs. » Cela m’a semblé bizarre qu’il ait plusieurs chiens qui se soient perdus en même temps. Cela n’avait en tout cas pas l’air de le perturber beaucoup. Il ne semblait pas non plus soulagé, comme l’aurait été n’importe quel maître qui aime son chien et qui l’aurait retrouvé. La dame suisse a trouvé cela assez inquiétant. Elle caressait tristement le petit chien. Elle m’a fait remarquer que le chien perdu était maigre et mal entretenu. Son propriétaire ne venait toujours pas et nous commencions à nous demander s’il allait venir. J’ai dit à la dame : « Il a l’air de se plaire avec vous ! », espérant qu’elle allait l’adopter ; mais elle a répondu que, malheureusement, elle ne pouvait pas avoir un troisième chien. On voyait qu’elle aurait bien voulu et que ce chien lui faisait de la peine. Mais pour l’instant il semblait heureux comme un roi et aussi choyé que ses deux nouveaux copains. Mais tout à coup il s’est agité. Il a poussé des petits cris plaintifs. La dame a dit : « Il a l’air d’avoir mal quelque part. » Mais il ne s’agissait pas d’une douleur physique. Il avait sûrement senti que son maître arrivait, car, presque immédiatement, une voiture est arrivée sur le parking. Il l’a regardée en continuant à geindre. Quand la dame a voulu le faire descendre, en le tirant un peu par le collier, pour qu’il aille retrouver son maître, il a refusé et s’est reculé. Elle l’a alors pris dans ses bras pour le rendre à son propriétaire. Aucune joie de retrouvailles ni d’un côté ni de l’autre. Le petit chien semblait résigné et la dame et moi étions très tristes. Un chasseur, avec qui j’ai parlé peu après, m’ a dit qu’il arrive fréquemment que des chiens se perdent pendant une chasse. Comment croire une chose pareille, étant donné leur flair ! Je crois plutôt que leur maître ne les considère que comme un instrument de chasse et les traitent mal. Alors ils se sauvent sûrement exprès, dans l’espoir de trouver un autre foyer où ils seraient plus heureux. Cela m’a fendu le coeur. Je repense encore avec tristesse à ce petit chien et je suis sûre que la dame suisse ne l’a pas oublié non plus. Je regrette de ne pas lui avoir donné mon adresse email, car j’aurais aimé qu’elle lise cette histoire. © Françoise Andersen
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