Mon petit amoureux du jardin d'enfants

Publié le par Françoise Andersen

 

C'était pendant la seconde guerre mondiale. J'avais quatre ans et je fréquentais un petit jardin d'enfants. Mes premiers souvenirs de cette période sont les projections de dessins animés muets, en noir et blanc, que la directrice organisait de temps en temps à la cave. Elle avait un vieux projecteur avec une manivelle qu'il fallait tourner pour faire défiler les images. Nous étions encore loin du temps des DVD ! Un jour je me suis aperçue que ces séances commençaient toujours quand retentissait la sirène annonçant des bombardements, C'était une manière de nous mettre à l'abri tout en occupant notre attention, jusqu'à ce que le danger soit passé.

 

Mon petit amoureux du jardin d'enfants

Un jour un nouveau est arrivé dans la classe. C'était un petit garçon souriant à l'air malicieux. Il avait presque le même âge que moi, mais on aurait dit qu'il avait un an de moins, car il était petit et malingre. Au début je ne l'ai pas trouvé particulièrement intéressant, mais il l'est devenu petit à petit, quand il a commencé à me lancer des regards admiratifs et énamourés. Il était très galant. Quand j'étais sur le point de m'asseoir, il tirait ma chaise de sous la table en s'inclinant ensuite légèrement , comme il l'avait sûrement vu faire par des serveurs dans les grands restaurants. Au moment de partir, il se précipitait sur mon manteau et le tenait derrière moi pour que je l'enfile. Il me faisait des compliments, me disait que j'avais de beaux cheveux. Les adultes s'émerveillaient: "Comme ils sont mignons, un vrai petit couple d'amoureux!". A la seule différence que je n'étais pas amoureuse de lui. Je trouvais qu'il faisait "bébé" à côté de moi, qui paraissais beaucoup plus que mon âge. Malgré tout j'étais quand même fière de toutes les attentions qu'il avait à mon égard. C'était bien agréable d'être ainsi choyée par quelqu'un qui m'aimait tant.

Lors des séances de ciné l'atmosphère était assez angoissante à cause du bruit des bombes qui s'abattaient sur la ville. Mon petit amoureux qui sentait sûrement que j'avais peur me prenait alors doucement la main et me souriait gentiment comme s'il voulait me dire: "Ne crains rien, je suis là". Et en fait sa présence et son calme me rassuraient.

Même si je pressentais un danger, j'en étais arrivée à apprécier ces séances pendant lesquelles nous étions assis l'un contre l'autre, main dans la main. Petit à petit je m'attachais à lui. Il me donnait des petits noms affectueux: ma cocotte, mon petit lapin, etc.

Mon petit amoureux du jardin d'enfants

Bref nous coulions le parfait amour, lui qui m'aimait et moi qui trouvais agréable de me laisser m'aimer. Un jour il n'est pas venu au jardin d'enfants. J'ai cru qu'il était malade et allait revenir. Mais le lendemain j'ai découvert l'affreuse vérité. Je me rappelle ce jour comme si c'était hier. En sortant de l'épicerie, nous avions croisé la mère de mon petit camarade. Elle nous avait dit qu'il n'était pas venu au jardin d'enfants parce qu'ils étaient en plein préparatifs de déménagement. Ils allaient partir le lendemain s'installer en Alsace, c'est-à-dire, pour moi à l'autre bout du monde. C'était une catastrophe. Je me rendais enfin compte que je l'aimais et je me demandais comment j'allais pouvoir vivre sans lui. J'étais probablement devenue dépendante de l'amour sans bornes qu'il me portait. Les deux mamans continuaient à bavarder calmement sans s'apercevoir de mon désarroi. Les adultes ne se rendent pas compte que l'amour peut déjà faire tant souffrir à cet âge.

Mon petit amoureux du jardin d'enfants

 

Une soixantaine d'années plus tard, j'ai été invitée à un mariage. J'avais su par la mère de la mariée qu'un des invités était originaire de la même ville que moi, que nous avions fréquenté le même jardin d'enfants et que nos mamans se connaissaient à l'époque. J'ai tout de suite pensé qu'il devait s'agir de mon petit chevalier servant. Nous devions être à la même table pour le repas de noces. J'avoue que j'étais un peu émue à l'idée que j'allais peut-être le revoir. Quand j'ai vu un petit monsieur fluet au regard pétillant s'asseoir en face de moi, j'ai été certaine que c'était lui. C'était même incroyable qu'il ressemble tant au petit garçon qu'il avait été. Mais quand j'ai commencé à évoquer des souvenirs du jardin d'enfants, cela ne lui rappelait rien. il m'a dit qu'il devait être dans une autre classe, qu'il ne ne souvenait pas de moi. Pourtant j'étais sûre que c'était lui, mais il m'avait apparemment oubliée. J'avoue que cela m'a un peu vexée.

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