Le retour de "mon" crapaud
"Françoise, Françoise". Entendant ces appels pressants de mon mari, je me suis précipitée sur la terrasse, en prenant bien soin de prendre, au passage, mon appareil photo. N'importe qui d'autre que moi, c'est-à-dire n'importe qui de NORMAL, se serait dit immédiatement: "Il a besoin d'aide" ou bien "Une tornade s'approche de la maison" (Oui, c'est arrivé il y a quelques années, je vous raconterai), Moi, je me doutais qu'il y avait un animal intéressant à photographier. En effet mon mari m'a dit en me montrant un coin à l'ombre: "Ton crapaud". Je ne l'avais pas encore vu depuis notre retour au Danemark. Il était camouflé parmi des feuilles mortes, que le vent hivernal avait apportées sur la terrasse et que je n'avais pas encore balayées.
Il y a sûrement toute une famille de crapauds chez nous, mais contrairement aux écureuils je n'arrive pas à les différencier, alors ça se résume pour moi à un individu: "Mon" crapaud . Des liens se sont en créés au fil des ans entre lui et moi et ils se sont renforcés le jour où je l'ai délivré de la moustiquaire.
Il faut que je vous explique. Comme j'aime lire ou manger à l'extérieur sans être dérangée par des insectes, j'ai fabriqué et suspendu une moustiquaire au-dessus de notre petit coin-détente, qui est protégé par le toit qui avance au-dessus d'une partie de la terrasse.
Un matin en sortant sur la terrasse, j'avais découvert mon pauvre crapaud pétrifié, avec avec les griffes prisonnières des mailles de la moustiquaire.
Il avait dû se glisser sous la moustiquaire et ensuite il n'avait pas pu ressortir. Pris de panique, il avait donc essayé de grimper sur un côté et, à un moment, la fatigue venant, il n'avait plus pu dégager ses griffes.
J'avais mis immédiatement en branle un plan de sauvetage. Je ne savais pas depuis combiren de temps il se trouvait dans cette position très inconfortable, mais il fallait vite le tirer de là. L'opération était difficile, car il fallait retirer une à une les griffes des mailles du filet tout en tenant un animal qui n'inspire guère les caresses. J'ai donc mis mes gants de ménage en caoutchouc pour éviter le contact avec une peau qui doit, à mon avis, être visqueuse. Bien entendu même s'il fallait faire vite, j'ai quand même pris le temps de lui tirer le portrait. J'ai cru alors lire un certain reproche dans ses gros yeux. Il devait me supplier intérieurement : "Tire-moi de là, au lieu de jouer les photographes animaliers".
Je suis ensuite entrée sous la moustiquaire. Je l'ai attrapé délicatement mais fermement de la main droite et, avec d'infinies précautions, j'ai libéré les griffes une à une. Cela a pris un certain temps car, pendant que je libérais une patte, il se raccrochait avec l'autre. Vous savez, comme les enfants à qui on essaie de faire lâcher prise. Enfin je me comprends : les enfants n'ont ni pattes ni griffes ! J'opérais avec la minutie d'un chirurgien et j'aurais bien eu besoin d'un assistant, mais connaissant la répulsion de mon mari pour ce genre de bestioles, je me suis dit "Même pas en rêve", et j'ai continué seule.
Une fois libéré, je l'ai posé délicatement sur le sol et il y est resté pendant plusieurs minutes complètement immobile, avant de disparaître dans la lavande où il vivait l'année précédente.
J'ai bien sûr droit régulièrement aux plaisanteries des voisins: "Tu devrais essayer de l'embrasser. Il se transformerait peut-être en prince charmant". Sur quoi je réplique immanquablement : "Qu'est-ce que je ferais d'un prince charmant à mon âge !"
Les premières années, il disparaissait à toute vitesse en me voyant, mais maintenant il reste sur place à me regarder. Peut-être est-il paralysé par la peur, mais je préfère imaginer qu'il me reconnaît. J'aime bien créer des liens avec "mes" animaux sauvages.
Je m'occupe bien de "mon" crapaud, car ce n'est pas de sa faute, s'il est si moche. D'ailleurs ma petite voix intérieure me dit: "Tu ne t'es pas regardée?". Et puis j'ai entendu dire que ces animaux étaient très utiles. Ils mangent des insectes nuisibles et même des limaces, dont se plaignent mes voisins, qui en sont réduits à faire d'elles des alcooliques, en leur servant de la bière, dans laquelle elles se noient. Moi j'ai mon "nettoyeur" parfaitement biologique.